• Le Seigneur des Idiots (partie 2)

    Peu après leur rencontre avec l'inconnu hystérique, Utz et Gandoulf avaient jugé plus prudent de l'emmener à l'abri dans la chaumière de ce premier. En effet, malgré la neige, il n'était pas rare que les lilliputiens aillent se balader en forêt. Et, dans l'état actuel de l'inconnu, il était dangereux de le laisser en liberté. Il risquait d'arracher la tête de quelqu'un avant de l'immoler par le feu.

    Utz épiait l'inconnu d'un air méfiant, tentant de décrypter ses intentions à travers l'obscurité de son capuchon. Pourtant, l'étranger paraissait calmé, et fixait le feu d'un air plutôt jovial.
    Gandoulf semblait lui aussi faire preuve de méfiance, et avait poussé un fauteuil devant la porte, pour pouvoir prendre la fuite plus rapidement.
    "- Bon. Qui êtes-vous ?" finit par demander Utz, agacé par ce silence.
    L'inconnu darda sur lui ses yeux bleus clairs, et eut un sourire apaisant.
    "- On me nomme Légorille. Je viens du pays des Elfes.
    - De si loin!
    Utz était perturbé de savoir que cet inconnu était un elfe. Son capuchon masquait ses oreilles pointues et, de face, son visage n'avait pas beaucoup des traits caractéristiques à sa race, hormis ses yeux limpides. Il était rare que les Elfes descendent de leurs montagnes et remontent vers le nord, plus près de la Capitale.
    - Et qu-qu'est-ce-que vous...vous venez faire i-ici ? bégaya Gandoulf, tétanisé.
    - A vrai dire, je ne sais pas trop, fit Légorille en se grattant la tête. Je ne me souviens pas bien.
    Utz et Gandoulf échangèrent un regard. Légorille ne semblait pas se souvenir de son coup d'éclat, peu auparavant. S'il avait été dans cet état à chacune de ses rencontres, peu étonnant qu'il ait atterri jusqu'ici. Les habitants du Royaume l'avaient probablement envoyé balader à chaque fois...
    - Bon. Il se trouve que mon ami Gandoulf ici présent doit monter vers le Nord pour retrouver quelqu'un. Vous pourriez faire un bout de chemin ensemble, et puis vous bifurqueriez vers vos montagnes.
    Gandoulf lança à Utz un regard de bête trahie et horrifiée, mais il s'en moquait pas mal.
    Le prêtre rasta finit par exploser alors que Utz proposait à l'étranger de rassembler des armes, les routes n'étant pas sures ces temps-ci.
    - UTZ NOM D'UN CHIEN! Si je dois voyager avec ce type, tu viens avec moi!

    Plus tard. Après maintes et maintes suppliques, et autant de lâcheté, il fut décidé que tous les trois quitteraient le village de Sept. (Ce fut en partie grâce à l'énervement de Légorille qui, Utz et Gandoulf commençaient à s'en apercevoir, devait être psychopathe et/ou schizophrène.)
    Utz avait laissé un bref mot d'adieu à son père - à qui il n'avait toujours pas pardonné de lui avoir refusé ce fameux couteau- avant de prendre la route, son baluchon sur le dos.
    Comme la nuit commençait à tomber, ils décidèrent de s'arrêter à une auberge sur le bord de la route. 
    L'enseigne indiquait 'Saurton et son Anneau Perdu', et se balançait sinistrement. Presque tous les carreaux des fenêtres étaient brisés, et la porte pendait sur ses gonds.
    Après avoir échangé un bref regard inquiet, ils avaient poussé la porte et, aussitôt, le bruit d'une belle bagarre les avaient englobés.
    Les tables se fracassaient sur les murs, les chopes d'hydromel volaient dans la pièce, un tableau représentant un enfant à la broche dans une cheminée monumentale s'écroula, et des hommes se tabassaient avec tant de motivation qu'on devinait que la baston était leur sport favori. Utz regarda longuement la mêlée humaine, et discerna une silhouette qui, de toute évidence, n'était pas masculine.
    Gandoulf s'avança en levant les mains, revêtant son expression de prêtre sérieux et solennel (qu'il ne revêtait pas si souvent que ça).
    - Holà mes braves! Quelqu'un aurait-t-il l'amabilité de me dire ce qu'il se passe ?
    Un homme baraqué au torse velu et à la barbe broussailleuse s'approcha de lui, le dépassant de deux bonnes têtes. 
    - Vous...vous êtes le...le chef, je présume ? 
    Le géant bomba le torse avant de cracher un énormes mollard aux pieds de Gandoulf, qui se liquéfiait à vue d'oeil. 
    - On...on peut discuter ? fit-il avant de se prendre un magistral coup de poing en arrière.
    Imperturbable, Utz saisit Légorille par la manche et l'attira près du bar. Le tavernier essuyait un verre avec un torchon sale et regardait la bagarre sans sourciller.
    - B'soir, daigna-t-il lâcher en apercevant les nouveaux venus. Qu'est-ce-que je vous sert ?
    - Il vous reste des chambres ?
    - Une. Avec plusieurs paillasses. Elle correspond aux normes d'hygiène de la maison, ajouta-t-il en interceptant le regard soupçonneux du lilliputien. Il dirigea son attention sur Légorille, qui courba les épaules.
    - Vous êtes pas d'ici, vous.
    - Non, je...
    - Nous prenons les chambre. Pourriez vous nous monter à dîner pour trois personnes ?
    Le tavernier hocha la tête et se détourna d'eux après leur avoir donné le numéro de leurs chambres. Utz lui tapota sur l'épaule:
    - Quand mon ami -le prêtre aux dread-locks sales- aura fini de servir de punching-ball pour ces messieurs, vous pourriez lui dire de monter ?
    - Ca oui! Mais j'sais pas dans quel état vous allez le retrouver.
    - Il est solide, assura Utz en jetant un nouveau regard vers la mêlée. Il ajouta: qui est cette femme ?
    Le tavernier suivit le doigt du lilliputien et répondit avec une moue dédaigneuse:
    - Une vadrouilleuse. Une coureuse de grands chemins, qui lapide à la vitesse de l'éclair et s'empare des bourses des voyageurs. Je lui aurais déjà interdit l'entrée dans mon établissement si j'avais des preuves contre cette sale femelle, mais en plus d'être malhonnête, elle est d'une discrétion malsaine. 
    - C'est dans son intérêt de ne pas se faire prendre, fit remarquer Légorille distraitement. 
    Le tavernier lui lança un regard mauvais, et Utz se hâta de changer de sujet:
    - Ca m'a l'air d'être une sacré bagarreuse, en tout cas.
    - Ca oui! Un sacré bout de femme que cette femelle là. Et pas laide du tout. Mais quel caractère!
    Utz songea en son for intérieur qu'elle devrait bien s'entendre avec Légorille. Il se hâte de chasser cette idée de sa tête, et entraîna l'elfe avec lui dans sa chambre.

    La notion d'hygiène du tavernier était exécrable. Les matelas étaient bourrés d'une si fine couche de paille qu'elle en était obsolète, le sol était parfois parcouru par des cafards, le mur était rongé par les termites, et il y avait un rat mort dans un angle de la chambre. Lorsqu'enfin Gandoulf les rejoignit, la tignasse en bataille, la bouche tuméfiée et un oeil fermé et violacé, ils purent manger un genre de ragoût bizarre. Ils auraient bien été en mal de dire ce qu'il y avait dedans.
    Les trois hommes -enfin, il y avait plutôt un homme, un nain et un Elfe- mangèrent et se couchèrent. Aucun ne savait trop où tout cela allait les mener, mais une chose était sure, rien à voir les évènements d'aujourd'hui, ils étaient sur le point de vivre une grande aventure. 
    Vers le milieu de la nuit, quelqu'un toqua à la porte, et les tira du sommeil.

     
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