• Le Seigneur des Idiots

    Ici, un roman écrit dans le cadre d'une battle solo sur mon forum d'écriture 

    le roman est posté en plusieurs parties, et de façon à ce que la partie 1 apparaisse la 1ere, à ce que la partie 2 arrive en seconde, etc.

  • Ceci est ma participation à une battle solo organisée sur mon forum d'écriture 

    le principe est simple: deux écrivains s'affrontent dans un duel acharné.

    le maître du jeu (qui ne participe pas au duel) leur donne 5 cartes (des mots à placer dans leur histoire) chacun, à chaque manche. il peut y avoir 5 manches, 10 manches... autant que cela arrange les joueurs.

    les joueurs doivent placer ces 5 mots dans leur texte, tout en essayant de faire en sorte que leur histoire soit agréable, cohérente, amusante parfois, etc. ce n'est pas si simple qu'il y paraît. 

    le maître du jeu distribue ensuite les points (les critères peuvent être: crédibilité des personnages, intrigue, disposition des mots à placer, cohérence de l'histoire, etc etc.) et le joueur qui en a remporté le plus gagne la battle, à la fin des manches. 

    Je dois avouer que c'est un peu une parodie du Seigneur des Anneaux... :p

    Bonne lecture! =D

    (les mots en gras dans le texte sont les mots que je devais placer).

     

     

    Tout commença sous la neige. 
    Ce n’est pas commun, me direz-vous, et quelques-uns d’entres-vous me diront qu’ils s’en fichent complètement, et pourtant! C’est important pour la suite de ce récit. Mais nous y viendront plus tard. 


    Dans un coin reculé de l’Avalarie, bien plus bas que les Plaines, juste en-dessous de la Forêt Originelle, se dressait fièrement un petit village nommé Sept. 
    Il avait été bâti par sept lilliputiens sans aucune imagination, d’où son malheureux nom.
    Ce petit village, qui bravait fièrement l’Empire et refusait de payer ses taxes, qui tirait la langue aux bonnes manières et à la bienséance, abritait en son sein le héros de cette histoire.
    Utz était un jeune lilliputien. 
    Cela vous semble probablement très vague, mais à part sa jeunesse qui, d’ailleurs, ne durera pas éternellement, Utz n’avait pas grand-chose pour lui.
    Il était très laid -oh oui, très laid!- et avait également un sale caractère. Il était petit, maigre et faible. Il était avare, n’appréciait pas partager, et ne se joignait jamais dans les discussions des autres jeunes lilliputiens, bien que ceux-ci aient appris, depuis longtemps, à l’éviter. 
    Ainsi, et depuis sa naissance, peut-être car il sentit le dégout des autres à cause de sa laideur, Utz n’était pas aimé et Utz n’aimait personne.
    Personne, me direz-vous, et bien oui, oh que c’est triste, n’est-ce-pas, d’être un jeune garçon à la remarquable intelligence (j’ouvre ici une petite parenthèse pour préciser un point obscur. Utz était très intelligent, ça oui, mais il utilisait ses capacités à faire le mal et semer la zizanie entre les autres membres de la Communauté de Sept, voila pourquoi je n’ai pas ajouté cette qualité dans la liste, avec sa jeunesse.), à l’esprit vif et aiguisé,  et  ne  pouvoir  le  partager  avec

    personne ?
    Néanmoins, avec le temps, Utz avait appris à converser avec un vieux prêtre qui venait de temps à autres (en réalité, il venait une fois par an à Sept, mais les lilliputiens n’avaient pas très bonne mémoire, et leur horloge interne était quelquefois défaillante). 
    Ce vieux prêtre se nommait Gandoulf.


    Tout commença sous la neige. C’était une belle matinée ensoleillée. 
    Le soleil faisait étinceler la neige, dorait le sommet des collines avoisinantes, et le ciel était bleu, d’un beau bleu azur comme les lilliputiens les aimaient.
    Pourtant, alors que tous ses semblables vaquaient à leurs occupations en chantant, Utz n’était pas de bonne humeur. 
    Son père avait refusé de lui offrir le poignard de ses rêves, et cela le mettait dans une colère froide, le genre de colère qui vous donne envie de frapper, d’éventrer quelqu’un, et qui vous pousse à rester seul pour ne pas faire de bêtise.
    Ainsi, Utz, après avoir claqué la porte de sa maison avec fracas, s’était dirigé en direction du Petit Bois. Les oiseaux s’étaient immédiatement tus devant son passage, craignant la foudre de sa colère, et les papillonsavaient cessé de voleter allègrement de fleur en fleur. (les papillons dont je vous parle sont en réalité des sortes de petits colibris, mais si petits que les lilliputiens n’ont jamais pu faire la différence. L’Empire a toujours refusé de leur offrir la technologie avancée qu’il commercialise dans la Capitale. Probablement car les Lilliputiens n’ont jamais accepté de payer les taxes et les impôts qu’il leur envoyaient. Les fleurs, quand à elles, sont de ravissantes pétales dorées s’ouvrant à même la neige, et ne comportant pas de tige, ni de feuilles, ni d’épines. Juste une rosace de pétales jaunes s’ouvrant délicatement sur le manteau neigeux. Des fleurs en hiver, sur la neige qui plus est, me direz-vous ? Ben oui. L’Avalarie était un monde bizarre.)
    Utz donna un grand coup de savate dans un monticule de neige, et se mit à pousser des jurons, tous plus vilains que les autres, lorsqu’il sentit la neige s’infiltrer sous son pantalon.
    En ce moment même, vous devez comprendre que pour Utz, le monde entier le haïssait. Du moins, Utz avait l’impression que le monde entier le haïssait, ce qui n’est pas réellement possible, car il n’était jamais sorti de Sept, et encore moins de la Contrée. Du coup, les gens de la Capitale, ou du Nord, ou du Sud, n’auraient jamais pu avoir vent de lui.
    Mais Utz était en colère, ne l’oublions pas. 
    Soudainement, il entendit des crissements sur la neige, comme si une charrette approchait. 
    Bientôt, il perçu les renâclements des chevaux fatigués, et se mit à courir dans leur direction. 
    Quelque-part entre deux bosquets de fougères, il aperçu la charrette en question, tirée par deux chevaux de trait. Il s’approcha encore plus, et reconnut le prêtre Gandoulf.
    Sa joie, alors, ne connut plus de fin.
    Avec un peu de chance, Gandoulf lui aurait spécialement apporté un pot de Nutella, rien que pour lui. Oh, pensa, Utz. Ca n’avait pas tellement d’importance. De toute manière, s’il ne lui en avait pas amené, il trouverait bien un moyen pour le lui faire payer. 

     

    Après maintes tapes dans le dos et hauts cris, Utz avait entrainé son jeune ami dans sa petite chaumière. Dans un sursaut d'égoïsme, il refusait que les autres lilliputiens profitent de Gandoulf avant lui. 
    Celui-ci, profondément installé dans un fauteuil recouvert de cuir de zébu marin, avait tiré une longue pipe en bois d'une des poches de sa toge tachée.
    Aussitôt, cédant sous les instances de Utz -qui le menaçait, entre-autre, de découper sa barbe en carrés et de les coudre ensemble pour en faire un patchwork-, le prêtre commença à raconter.
    Il en était ainsi à chacune de ses visites. Car, il faut bien l'avouer, Gandoulf était un prêtre à l'âme d'aventurier, forcé de s'investir dans la religion plutôt que dans les combats sanglants. Ses venues étaient donc obligatoirement accompagnées de récits d'aventure, toutes plus folklo les unes que les autres.
    Gandoulf avait raconté la quête dont l'avaient chargé l'Empereur d'Avalarie et ses conseillers. 
    "- Utz, mon pote, s'était écrié le jeune prêtre rasta en rejetant ses dreads en arrière. Ma mission, elle est sensée être classée secret-défense, tu vois c'que j'veux dire ? Ouaiiiiis, tu voiiiis. Mais j'te le dis à toi, t'es mon meilleur pote, man -il lui cogna l'épaule de son poing. Y a le meilleur escrimeur de l'Avalarie toute entière qu'a disparu. J'dois le retrouvrer.
    C'était dit simplement et, forcément, un flot de questions ne tarda pas à l'assaillir.
    - Qui ça ?
    - Un type que tout le monde appelle 'le Breteur'. Mais en vrai, y s'appelle Ragnagor. 
    Les deux compères échangèrent un regard mi-figue mi-raisin. C'était vraiment un nom à la bistoufly.
    - Personne ne sait où il est passé ? poursuivit Utz.
    Gandoulf secoua la tête, songeur:
    - Y s'rait parti prêter main forte à l'Empire d'Avalarie sur le front Nord, mais personne ne l'y a vu. Non, il a disparu mon pote. Et c'est moi qui doit l'retrouver. L'Empire a mit tout un tas de trucs à ma disposition, et si j'dois remuer ciel et terre pour le retrouver, ben j'le f'rai. 
    - La classe, souffla Utz. Mais, dans sa petite tête, il se demandait si Gandoulf lui avait apporté du Nutella. Aussi, posa-t-il la question. 
    - Ah nan, crotte de Belzéburk, j'ai oublié!

    Peu après, Utz et Gandoulf -dont l'oeil gauche avait pris une vilaine couleur violacée- allèrent se balader aux alentours du village. La neige crissait sous leurs pas, et le prêtre lançait à son jeune ami des regards méfiants.
    - Mais, ce type, là, tu sais où le chercher ?
    - Pas du tout. 
    - Il faudrait peut-être que tu y réfléchisses.
    - Ouais. 
    C'est alors qu'un hurlement résonna dans la forêt. Utz sursauta, tandis que Gandoulf regardait de tous les côtés, l'air éberlué. 
    - C'était quoi, ça ?
    - Un cri, répondit Gandoulf sans se fouler.
    - Très drôle, mais...
    De nouveau, le cri retentit, se repercuta parmi les arbres, et s'éteignit.
    - Je crois que quelqu'un a) a mal quelque-part, b) est triste, c) a faim, d) se fait dévorer par une créature sanguinaire, se référer au a).
    Utz préféra ne rien répliquer, et se mit à avancer en direction du bruit. Ce n'était pas chose facile, car l'écho se répercutait longuement, mais ils finirent par découvrir l'origine de ce cri horrible.
    Un homme était assis sur un tronc d'arbre couché, et il pleurait à chaudes larmes. On ne pouvait pas voir son visage, qui était masqué sous un capuchon, mais sa détresse était palpable. Gandoulf s'approcha de l'inconnu tandis que Utz restait en arrière, circonspect. Il avait pour principe de ne jamais se fier aux types louches en larmes au beau milieu de la forêt. 
    - Hola mon pote, qu'est-ce-qui détruis ta vie et qui fait que tu sois en bad si profond ?
    - Ma...ma...ma femme m'a...m'a qui-ittééééé! s'écria l'inconnu lamentablement.
    - Oh, désolé! s'écria à son tour Gandoulf. Elle ne te méritait surement pas!
    - C'est m-moi qui la mé-éritait p...paaaaaas!
    - Tu vas t'en remettre. Man, les femmes, elles sont parfois belles, parfois intelligentes, mais toujours, toujours on est rien sans elles. Sois fort.
    - Gandoulf, je doute que tu lui remontes vraiment le moral...
    - TU M'CHERCHES, P'TIT MERDEUX ?! hurla l'inconnu avec hargne.
    Utz recula d'un pas, hésitant entre avoir l'air terrifié ou énervé. Il préféra se taire et laisser Gandoulf faire.
    - Allons, allons. Mon pote Utz ne veut pas te faire de mal, il est gentil (ce qui n'était pas tout à fait vrai). J'suis l'homme de la situation (non plus). Fais moi confiance.
    - VA TE FAIRE VOIIIIIIR! FACE DE ZEBU! TRAITRE A TON SANG! MISERABLE CLOPORTE!
    - Man, tonton Gandoulf veut juste t'aider...
    Mais il s'éloigna également avec précipitation lorsque l'inconnu se redressa de toute sa hauteur -il n'était pas beaucoup plus grand que Utz- et piqua une grosse colère. 
    Les deux compagnons avaient vaguement l'impression d'assister à un massacre, provoqué par un Belzéburk qui aurait été mis en colère par un moucheron impertinent. Ce n'était pas très beau à voir.

     

     

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  • Peu après leur rencontre avec l'inconnu hystérique, Utz et Gandoulf avaient jugé plus prudent de l'emmener à l'abri dans la chaumière de ce premier. En effet, malgré la neige, il n'était pas rare que les lilliputiens aillent se balader en forêt. Et, dans l'état actuel de l'inconnu, il était dangereux de le laisser en liberté. Il risquait d'arracher la tête de quelqu'un avant de l'immoler par le feu.

    Utz épiait l'inconnu d'un air méfiant, tentant de décrypter ses intentions à travers l'obscurité de son capuchon. Pourtant, l'étranger paraissait calmé, et fixait le feu d'un air plutôt jovial.
    Gandoulf semblait lui aussi faire preuve de méfiance, et avait poussé un fauteuil devant la porte, pour pouvoir prendre la fuite plus rapidement.
    "- Bon. Qui êtes-vous ?" finit par demander Utz, agacé par ce silence.
    L'inconnu darda sur lui ses yeux bleus clairs, et eut un sourire apaisant.
    "- On me nomme Légorille. Je viens du pays des Elfes.
    - De si loin!
    Utz était perturbé de savoir que cet inconnu était un elfe. Son capuchon masquait ses oreilles pointues et, de face, son visage n'avait pas beaucoup des traits caractéristiques à sa race, hormis ses yeux limpides. Il était rare que les Elfes descendent de leurs montagnes et remontent vers le nord, plus près de la Capitale.
    - Et qu-qu'est-ce-que vous...vous venez faire i-ici ? bégaya Gandoulf, tétanisé.
    - A vrai dire, je ne sais pas trop, fit Légorille en se grattant la tête. Je ne me souviens pas bien.
    Utz et Gandoulf échangèrent un regard. Légorille ne semblait pas se souvenir de son coup d'éclat, peu auparavant. S'il avait été dans cet état à chacune de ses rencontres, peu étonnant qu'il ait atterri jusqu'ici. Les habitants du Royaume l'avaient probablement envoyé balader à chaque fois...
    - Bon. Il se trouve que mon ami Gandoulf ici présent doit monter vers le Nord pour retrouver quelqu'un. Vous pourriez faire un bout de chemin ensemble, et puis vous bifurqueriez vers vos montagnes.
    Gandoulf lança à Utz un regard de bête trahie et horrifiée, mais il s'en moquait pas mal.
    Le prêtre rasta finit par exploser alors que Utz proposait à l'étranger de rassembler des armes, les routes n'étant pas sures ces temps-ci.
    - UTZ NOM D'UN CHIEN! Si je dois voyager avec ce type, tu viens avec moi!

    Plus tard. Après maintes et maintes suppliques, et autant de lâcheté, il fut décidé que tous les trois quitteraient le village de Sept. (Ce fut en partie grâce à l'énervement de Légorille qui, Utz et Gandoulf commençaient à s'en apercevoir, devait être psychopathe et/ou schizophrène.)
    Utz avait laissé un bref mot d'adieu à son père - à qui il n'avait toujours pas pardonné de lui avoir refusé ce fameux couteau- avant de prendre la route, son baluchon sur le dos.
    Comme la nuit commençait à tomber, ils décidèrent de s'arrêter à une auberge sur le bord de la route. 
    L'enseigne indiquait 'Saurton et son Anneau Perdu', et se balançait sinistrement. Presque tous les carreaux des fenêtres étaient brisés, et la porte pendait sur ses gonds.
    Après avoir échangé un bref regard inquiet, ils avaient poussé la porte et, aussitôt, le bruit d'une belle bagarre les avaient englobés.
    Les tables se fracassaient sur les murs, les chopes d'hydromel volaient dans la pièce, un tableau représentant un enfant à la broche dans une cheminée monumentale s'écroula, et des hommes se tabassaient avec tant de motivation qu'on devinait que la baston était leur sport favori. Utz regarda longuement la mêlée humaine, et discerna une silhouette qui, de toute évidence, n'était pas masculine.
    Gandoulf s'avança en levant les mains, revêtant son expression de prêtre sérieux et solennel (qu'il ne revêtait pas si souvent que ça).
    - Holà mes braves! Quelqu'un aurait-t-il l'amabilité de me dire ce qu'il se passe ?
    Un homme baraqué au torse velu et à la barbe broussailleuse s'approcha de lui, le dépassant de deux bonnes têtes. 
    - Vous...vous êtes le...le chef, je présume ? 
    Le géant bomba le torse avant de cracher un énormes mollard aux pieds de Gandoulf, qui se liquéfiait à vue d'oeil. 
    - On...on peut discuter ? fit-il avant de se prendre un magistral coup de poing en arrière.
    Imperturbable, Utz saisit Légorille par la manche et l'attira près du bar. Le tavernier essuyait un verre avec un torchon sale et regardait la bagarre sans sourciller.
    - B'soir, daigna-t-il lâcher en apercevant les nouveaux venus. Qu'est-ce-que je vous sert ?
    - Il vous reste des chambres ?
    - Une. Avec plusieurs paillasses. Elle correspond aux normes d'hygiène de la maison, ajouta-t-il en interceptant le regard soupçonneux du lilliputien. Il dirigea son attention sur Légorille, qui courba les épaules.
    - Vous êtes pas d'ici, vous.
    - Non, je...
    - Nous prenons les chambre. Pourriez vous nous monter à dîner pour trois personnes ?
    Le tavernier hocha la tête et se détourna d'eux après leur avoir donné le numéro de leurs chambres. Utz lui tapota sur l'épaule:
    - Quand mon ami -le prêtre aux dread-locks sales- aura fini de servir de punching-ball pour ces messieurs, vous pourriez lui dire de monter ?
    - Ca oui! Mais j'sais pas dans quel état vous allez le retrouver.
    - Il est solide, assura Utz en jetant un nouveau regard vers la mêlée. Il ajouta: qui est cette femme ?
    Le tavernier suivit le doigt du lilliputien et répondit avec une moue dédaigneuse:
    - Une vadrouilleuse. Une coureuse de grands chemins, qui lapide à la vitesse de l'éclair et s'empare des bourses des voyageurs. Je lui aurais déjà interdit l'entrée dans mon établissement si j'avais des preuves contre cette sale femelle, mais en plus d'être malhonnête, elle est d'une discrétion malsaine. 
    - C'est dans son intérêt de ne pas se faire prendre, fit remarquer Légorille distraitement. 
    Le tavernier lui lança un regard mauvais, et Utz se hâta de changer de sujet:
    - Ca m'a l'air d'être une sacré bagarreuse, en tout cas.
    - Ca oui! Un sacré bout de femme que cette femelle là. Et pas laide du tout. Mais quel caractère!
    Utz songea en son for intérieur qu'elle devrait bien s'entendre avec Légorille. Il se hâte de chasser cette idée de sa tête, et entraîna l'elfe avec lui dans sa chambre.

    La notion d'hygiène du tavernier était exécrable. Les matelas étaient bourrés d'une si fine couche de paille qu'elle en était obsolète, le sol était parfois parcouru par des cafards, le mur était rongé par les termites, et il y avait un rat mort dans un angle de la chambre. Lorsqu'enfin Gandoulf les rejoignit, la tignasse en bataille, la bouche tuméfiée et un oeil fermé et violacé, ils purent manger un genre de ragoût bizarre. Ils auraient bien été en mal de dire ce qu'il y avait dedans.
    Les trois hommes -enfin, il y avait plutôt un homme, un nain et un Elfe- mangèrent et se couchèrent. Aucun ne savait trop où tout cela allait les mener, mais une chose était sure, rien à voir les évènements d'aujourd'hui, ils étaient sur le point de vivre une grande aventure. 
    Vers le milieu de la nuit, quelqu'un toqua à la porte, et les tira du sommeil.

     

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  • Aussitôt que l'inconnu avait toqué à la porte, Légorille avait bondi de sa couche. Utz également, pour l'empêcher de défoncer la porte avec un marteau qui traînait Dieu sait où.
    Le jeune lilliputien avait ouvert, et reconnu en le visiteur la jeune femme de la veille.
    Elle était nonchalamment appuyée contre le battant de la porte et le fixait avec effronterie.
    - B'soir. J'ai entendu dire que vous étiez pas du coin. Vous excuserez, j'en suis sure, ma vilaine et morbide curiosité qui m'a poussée à v'nir vous tirer du sommeil réparateur des gens honnêtes. 
    Utz, encore à moitié endormi -et retenant toujours Légorille, qui se démenait comme un beau diable en poussant des rugissement inhumains pour atteindre la jeune femme- mit du temps avant de répondre. L'inconnue décida alors d'entrer d'elle-même dans la pièce et s'affala sur la couchette de l'Elfe, en fixant Gandoulf avec circonspection.
    - C't'un costaud, vot' copain. J'suis surprise qu'il parvienne encore à respirer après ce que ces roublards lui ont fait subir hier soir.
    Utz suivit son regard et regarda mollement son ami, qui dormait la bouche grande ouverte, d'où s'échappaient des ronflements phénoménaux. Et aussi un long filet de bave.
    - A mon avis, il est plutôt dans le coma.
    - Qui est cette gente dame ? demanda Légorille, sortant de sa torpeur.
    L'inconnue le fixa avec étonnement:
    - Il a un problème, lui, non ? 
    - Vous croyez ? répondit Utz, blasé. Légorille, lâche ce marteau.
    L'intéressé observa l'objet avec curiosité, comme s'il n'en avait jamais vu, et retourna sur sa paillasse. Il entreprit de regarder l'outil sous toutes les coutures, et testa ses innombrables utilités, avant de glapir après s'être défoncé l'oeil.
    - Qui êtes vous ? demanda alors Utz, sans prêter plus cas à l'Elfe.
    - On m'a donné de nombreux noms. 
    - Et celui que l'on vous donne en ce moment, c'est lequel ?
    La jeune femme aux épais cheveux roux retourna son regard torve à Utz. Ses yeux verts pétillaient d'intelligence. 
    - Zhara. 
    - Drôle de nom.
    - Je suis aussi une drôle de personne, répliqua-t-elle avec un sourire mutin.
    Utz se dit qu'il n'en doutait pas une seconde, et poursuivit.
    - Que me voulez-vous ?
    - Comme j'l'ai dit plus tôt, j'ai entendu dire que vous n'étiez pas du coin. Il ne se passe pas grand chose dans les environs, petit homme, et j'ai appris avec le temps que les étrangers étaient souvent une mine d'aventures et d'occupations. J'avais pas y aller par qat' chemins: je veux vous accompagner, où que vous alliez. 
    Utz fut bien tenté de lui répondre 'à la mer, ramasser des bigorneaux', mais il se dit qu'elle ne le croirait probablement pas. Il lui expliqua donc la vérité, et elle se fendit d'un immense sourire futé:
    - J'avais raison. J'en suis! 
    Utz soupira.
    - J'imagine que vous ne demandez pas vraiment la permission...
    Le sourire qu'elle lui décocha en retour était suffisamment explicite.

    Ils quittèrent l'auberge au petit matin, alors que la brume plongeait encore la campagne sous un épais manteau cotonneux. Gandoulf -qui était finalement sorti de son pseudo coma- avait été enchanté d'apprendre que leur petit groupe comptait à présent une invité imprévue. Légorille semblait tout autant enthousiaste, et Utz en comprit la raison lorsque Zhara prit la tête, en remuant des hanches avec énergie.
    - Vous vous préparez pour une parade ? lui demanda-t-il avec ironie, alors qu'ils se reposaient au bord d'un champ.
    - Que voulez-vous dire, petit homme ?
    Utz n'était vraiment pas du genre à piquer un fard. Surtout pas pour ça. Aussi fut-il consterné de sentir son visage s'enflammer.
    - Rien. Laissez tomber.
    Son rire était la pire des humiliations, surtout qu'il était persuadé qu'elle avait très bien compris de quoi il parlait.

    Aux alentours de midi, ils croisèrent un cadavre au bord de la route. Gandoulf fit rapidement le signe de croix, tandis que Utz détournait le regard, que Légorille poussait des cris d'effroi, et que Zhara s'approchait du corps.
    En un seul geste fluide, elle détacha la bourse qui pendant encore à la ceinture du pauvre homme, et le fourra dans la besace qu'elle portait à la hanche.
    Aussitôt, Gandoulf se récria.
    - Voler un mort! C'est de la profanation!
    - J'vois pas pourquoi. Il est pas enterré, que je sache.
    - Mais c'est infâme! Qui es-tu, femme, pour te montrer si vile et cruelle ? Tu n'as donc aucun scrupule à voler, piller, et ce même sur des cadavres humains ?
    - D'un côté, j'vois pas c'que j'pourrais dérober sur le cadavre d'une chèvre.
    Et cela continua tout l'après-midi. Utz était sur le point de les assommer tous les deux avec le marteau que l'Elfe avait gardé, quand Zhara attrapa Gandoulf par le col et le souleva, si bien que ses pieds quittèrent le sol.
    - Écoute-moi bien, petit prêtre de cambrousse à la noix, j'ai pas rejoint cette foutue équipée pour supporter tes sermons. Tu ferais mieux d'arrêter de me les briser si tu veux pas que la pointe de ma dague vienne chatouiller tes côtes, pigé ?
    Gandoulf, bégayant sous ses dread-locks, s'empressa de hocher la tête.
    Zhara le reposa, lui épousseta sa toge dans un accès de bonté, et ajouta:
    Il fut un temps, j'étais une femme honnête qui allait à la messe tous les dimanches matins, un temps où je ne pillais pas les cadavre et ne tuais pas pour l'argent, un temps où la milice du Royaume de me poursuivait pas, un temps où ma tête n'était pas mise à prix dans chaque troquet. Ce temps est passé, et je suis ce que je suis. Trois hommes ont abusé de moi alors que je rentrais du lavoir. Ils m'ont jetée dans un fourré et une fois que leur petite affaire était finie, ils m'ont laissée là, ils sont repartis en se balançant de grandes claques dans le dos, comme s'ils avaient expédié une affaire courante de la plus exquise des façons. Je suis restée là, j'avais trop mal pour pleurer. J'ai juré que jamais ils ne referaient un coup pareil à une gamine de quinze ans. Alors j'ai du apprendre à me défendre. A force de fréquenter certaines personnes, j'ai acquis un sens moral déplorable, et ça me va à la perfection. Je ne vis que pour me venger de ces ordures, les empêcher de recommencer, et ça exige certains sacrifices. Je vais retrouver les noms de ces pourritures et leur faire payer.
    Elle parut vouloir ajouter quelque-chose, rencontra le regard désolé et horrifié du pauvre Gandoulf, puis se détourna, en balançant le mot de la fin.
    - Allez, venez les mecs. J'ai pas envie de dormir dehors. Y'a un village à une ou deux lieues d'ici, si on se dépêche, on devrait pouvoir y arriver avant la nuit. 
    Utz et Légorille échangèrent un regard inquiet. Avoir une femme dans l'équipe, ça craignait déjà un peu, mais une femme montée sur ressorts, d'une force colossale, belle, et victime de viol, c'était l'horreur. Le plus étrange, c'était que Zhara me semblait pas se cacher, au contraire elle avançait avec détermination, usant de ses atouts féminins avec effronterie, à la limite du vulgaire. Gandoulf, légèrement refroidi, ne lui parlait plus qu'avec respect - un peu trop de respect, peut-être- et affichait une mine consternée. On se serait crus à un enterrement. Voyant leurs mines déconfites, Zhara se cru forcée de détendre l'atmosphère:
    - Hé, les mecs. C'est pas parce-que j'ai été violée par des connards d'enfoirés qu'il faut faire ces tronches là. Ca me donne limite envie de m'offrir au premier passant, plutôt que de subir vos regards horrifiés. 
    Ils la regardèrent s'éloigner en chantonnant, complètement à la ramasse. Une telle femme existait-elle vraiment ?

     

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  • Les jours qui suivirent ne furent pas de tout repos pour les trois hommes. Comme ils s'enfonçaient un peu plus loin chaque jour vers le nord, les villages se faisaient de plus en plus nombreux, tout comme les gens qui y vivaient. A chaque rencontre, Zhara faisait preuve d'un cullot affreux, et il n'était pas rare qu'après s'être montrée vulgaire, elle participâ à la bagarre qu'elle avait elle-même provoquée. 

    Ainsi, Gandoulf avait les traits tirés, l'oeil hagard, et perdait un peu la tête.

     Comme s'ils avaient besoin de ça, en plus de l'Elfe psychopathe et lunatique, songeait Utz en avançant, le nez baissé sur ses pieds sales. Un individu lui avait soutiré ses chaussures pendant qu'il dormait. Il se demandait si ce n'était pas Zhara qui avait fait le coup, pour les revendre au marché noir.

    Alors que le soleil se couchait, embrasant le ciel d'une lueur rouge orangée, le jeune lilliputien apperçu une ferme, comme perchée en haut d'une colline, quelques centaines de mètres plus loin. Il la désigna à Zhara:

    "- Le prochain village doit être à des lieues de marche, et encore. 

    - Je connais bien la région, petit homme. Il y en a un pas très loin.

    Utz jugea le pour et le contre, et décida de la jouer sale marmot rebelle. Il se laissa choîr sur les cailloux et croisa les bras, l'air déterminé:

    - Je ne ferai pas un pas de plus si nous n'allons pas dormir dans cette bicoque. 

    La jeune femme le jaugea du regard quelques instants avant d'éclater de rire et de lui tendre la main:

    - Ca, on peut dire que vous les nains, vous avez de la suite dans les idées!

    - Je suis un lilliputien.

    - Oui, ça se voit, hein ? Bon, viens, on va pas y passer la nuit.

     

    Le propriétaire de la petite fermette était un vieil homme à moitié sourd, à la longue barbe blanche et aux yeux vitreux. Il fallut un moment à Utz pour lui faire comprendre qu'ils désiraient gîte et couvert, mais une fois que le vieillard eut apperçu le décolleté plongeant de Zhara, ce fut comme s'ils se connaissaient depuis toujours.

    - Il s'appelle Greldig, souffla la jeune voleuse à Utz, pendant que le vieil homme était allé ranimer la cheminée dans la cuisine. C'est un vieux barjo, que tout le monde surnomme Greldingo. Il aime beaucoup les jolies filles.

    Ca, Utz l'avait bien compris.

    Greldingo revint avec une marmitte pleine d'un ragout au fumeux horriblement tentateur. Utz sentit son estomac gronder.

    - Parole, tu vas péter plus que la foudre, mon jeune ami! s'exclama le vieillard, se croyant drôle. 

    Le jeune nain -pardon, lilliputien- grinça des dents en ravalant une réplique acerbe. 

    Tandis que leur hôte les servait, Utz observa Gandoulf, vaguement inquiet. Il doutait que, tout plongeant le décolleté de Zhara fut-il, Greldig les garde sous son toit si le prêtre rasta se montrait dérangeant. 

    Celui-ci contemplait le plat de ragout, l'air hagard. Un sourire juvénile s'étira lentement sur son visage, et il leva les yeux.

    - Mamit' vol'!

    - Gné ? fit Greldig.

    - Mamit' vol, mamit' volante!

    - Il dit que la marmitte vole, traduisit Zhara, en âme charitable qu'elle était. 

    Greldig se contenta de hausser les épaules, et de grogner:

    - Ah, ces étrangers...toujours en train de sniffer n'importe quoi...

    Et gna gna gna, et gna gna gna.

    Le repas une fois terminé, Utz poussa Gandoulf dehors mais, voyant que Légorille n'avait pas l'air trop psychopathe ce soir là, décida de le garder à l'intérieur. 

    Greldig étendit ses longues jambes râblées devant l'âtre et soupira d'aise, en bourrant sa pipe.

    - Pardonnez ma curiosité, commença Utz, pas repentant du tout, mais nous sommes à la recherche d'un chevalier. Il se nomme Ragnagor, me semble-t-il. Vous en avez peut-être entendu parler ?

    Le vieillard à la barbe tachée de vin se gratta la tête, et onc pu voir multitude de pellicules tomber sur le parquet.

    - 'Tendez que j'me souvienne...un ch'valier, c't'un soldat, c'est bien ça ?

    - Pas vraiment non. Un chevalier est un homme d'arme qui a été adoubé par une personne de sang royal, et son devoir est de venir en aide et de protéger la population, et...

    - Moué, c't'un bonhomme qui tient un coupe-choux, c't'un soldat quoâ.

    Utz préféra abandonner. En plus, Zhara se bidonnait et ne tentait même pas de le cacher.

    - Oué, c't'un soldat, grogna-t-il. Alors, vous savez où il est allé ?

    - Comment zavez dit qu'y s'app'lait, déjà ?

    - Ragnagor, répondit Utz, la patience même.

    - Ragnagor, Ragnagor... y 'm'semble bien qu'jai entendu parler d'un Ragna machin chose à un moment donné, oué.

    - Et...c'était quand, ce moment ?

    Le vieillard s'exclaffa en se frappant sur les cuisses:

    - Ah bah, dame! Si j'le savions, j'aurions d'jà répondu à vot' seigneurie! A mon âge, les hommes y z'ont pu toute leur tête, pardi.

    - J'avais remarqué, oui.

    - Gné ?

    - Par où est-il parti ? intervint Légorille, un bon sourire affiché sur son visage pâle.

    - Vers la Forêt Originelle, j'crois ben.

    Utz fronça les sourcils:

    - Ce n'est pas vers le Nord. On nous a dit qu'il était allé vers le Nord.

    - Dame, moi y m'a dit qu'il allait vers la Forêt. Pour r'trouver un ch'val perdu. Le gugus pas très fûté, si vous v'lez mon avis...pour perdre un ch'val, tout d'même! Ah! Faut l'faire!

    - Il vous a dit ?! Il est venu chez vous ?

    - Moué. Il parlait en lasalamecs.

    - Salamalecs.

    - C'est c'que j'dis! N'est t'y pas que c'est ce que j'y dis, au p'tiot, jeune d'moizelle ?

    Zhara eut un sourire attendri et ronronna:

    - N'est-ce-pas qu'il est adorable ?

     

    Au même moment ailleurs, Gandoulf était en pleine concentration. Cela faisait maintenant une dizaine de minutes qu'il tentait d'entrer en communication télépathique avec une des chèvres de la bergerie. La bête sur qui il avait jeté son dévolu le fixait de ses yeux ronds et idiots en machouillant un brin de paille,.

    - Entends-moi, pensa de nouveau Gandoulf en plissant les yeux, comme si cela pouvait favoriser sa concentration. Je suis ton maitre. Si tu m'entends, bêle une fois.

    Il rouvrit les yeux. La chèvre n'avait pas bougé, et mâchait toujours. Elle n'avait pas vraiment le genre d'aura écrasant qu'il était recommandé pour la réussite de l'expérience.

    - Sale carne! tempéta Gandoulf en donnant un gros coup de pied dans une botte de foin. 

    Cela fonctionnait pourtant avec les grands prêtres de la Cité. Il ne voyait pas trop pourquoi lui, n'y arrivait pas. Il faisait pourtant tout pareil qu'eux! Sur les archives qu'il avaient lues, ça disait que le prêtre qui devait recevoir le message télépathique portait une barbichette. 

    Il s'approcha de la chèvre et lui souleva le menton, l'air sérieux. Il y avait bien une barbichette. A tout hasard, il réessaya:

    - Entends-moi. Je susi ton maître, tu me dois obéissance. Si tu m'entends, bêle une fois.

    Un bêlement musical le fit ouvrir grands les yeux. La chèvre roulait des yeux appeurés en fixant un point derrière lui. Elle finit par détaller et rejoindre ses comparses.

    - J'ai réussi! J'ai réussi! S'exclama Gandoulf en entamant une danse de la joie. 

    - J'ai ré...u...ssiiiiiiiiiiiii!

    Il termina sa chorégraphie par le signe de la victoire, et failli éborgner Utz, qui arrivait juste à ce moment là.

    - Hééééé mais tu fous quoi bordeeeeeeeeel! s'écria-t-il tandis que ses yeux pleuraient. Il éclata ensuite en imprécations qu'il ne serait pas poli de recopier ici. 

    Alors que le prêtre s'étendait en excuses, Légorille crut bon aller chercher un seau d'eau froide, et de le vider sur la tête de celui-ci. 

    Gandoulf poussa un cri de chat outragé et bondit en arrière, avant de secouer la tête dans tous les sens, ses dreads-locks voltigeants de toutes parts. 

    - Mmh, ça marche plutôt bien, fit Zhara,  en fixant Légorille avec une moue pensive. Je me demande si ça marcherait aussi bien sur toi...

    - Sur moi ? 

    Mais l'Elfe ne put en savoir d'avantage, car Utz, qui avait cessé de pleurnicher, se redressa et expliqua à Gandoulf ce qu'ils avaient appris.

    - Oh, mec! T'es vraiment un chic type! s'exclama le prêtre en serrant son ami contre son coeur, si bien que ses pieds ne touchaient plus terre.

    - Pour ça, c'est un bon et gentil petit nain.

    - Lilliputien!

    - Je croyais que tu t'appellais Utz ?

     

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  • Il leur fallut encore deux semaines de marche pour arriver à la Forêt Originelle, durant lesquelles ils en profitèrent pour faire plus ample connaissance. 

    Utz avait remarqué que Zhara faisait les yeux doux à Légorille, et celui-ci semblait assez favorable aux avances de la jeune femme. 

    Enfin, il arrivèrent en vue du poste de douane, installé à la frontière. Un soldat sortit du cabanon à toute allure, et se posta au millieu de la piste, tentant de prendre un air sérieux et inquiétant. Son haleine sentait l'alcool, et Utz réprima à grand mal une envie irrésistible de lever les yeux au ciel. Il n'était entouré que de poivrots ou de cinglés. Ah, il y avait une putain, aussi.

    "- Halte! fit le garde, titubant sous le poids de son plastron. 

    - Holà, l'ami, commença Utz. Nous sommes d'humbles voyageurs en quête de sensations fortes. Nous désirons entrer dans la Forêt. Onc nous a dit qu'elle était peuplée de créatures toutes plus dangereuses les unes que les autres.

    Ce n'était pas tout à fait vrai, mais Utz soupçonnait le fonctionnaire de ne pas être très au courant de ce qu'il y avait dans la forêt. Il avait vraissemblablement accepté ce poste pour pouvoir picoller à l'aise, et en solitaire.

    - Quel genre de bestioles ? demanda quand même le garde.

    - Heu...des rouges-gorges carnivores, entre-autre. Mais aussi des biches super-rapides, des hérissons cracheurs de feu, ce genre de trucs, vous savez.

    Il entendit Zhara étouffer un rire, mais décida de l'ignorer. Après tout, rencontrer un hérisson cracheur de feu pouvait se révéler dangereux, on ne savait pas. Peut-être qu'ils existaient vraiment, mais que personne n'avait survécu à la rencontre pour le leur raconter, ha!

    Le garde sembla méditer sa réponse, se demandant surement s'il devait le croire ou pas. Il finit par demander la taxe habituelle, puis les laissa passer, non sans siffler Zhara sur son passage. Celle-ci se retourna et lui envoya un baiser de la main.

    Force étair d'avouer que la Forêt Originelle était la plus grande qu'ils aient jamais vue, ou pu traverser. Plus grande encore que celle des Elfes, elle plongeait Légorille dans une stupéfaction béate. Il bavait littéralement d'admiration devant ces arbres immenses, ce que Utz trouvait très stupide. Ce n'étaient que des arbres, après-tout!

    Au cour de leur traversée, ils croisèrent un chat volant, qui passait au-dessus leur tête. Zhara cessa de fanfaronner. Il y avait peut-être des hérissons cracheurs de feu, tout compte fait. Ils marchèrent longuement, interrogeant les voyageurs qu'ils rencontraient en chemin, leur demandant s'ils n'avaient pas croisé un preux chevalier sans cheval. Un seul pu leur indiquer le nord de la Forêt, vers lequel Ragnagor semblait s'être dirigé. Une semaine passa, puis deux, et la Forêt semblait ne jamais vouloir se terminer. Cela rendait Utz apathique. Tous ces arbres lui tapaient sur le système, et l'ambiance verdâtre qui régnait sur les lieus avait rendu Gandoulf bizarre. Depuis son expérience avec la chèvre, il avait regagné un peu de ses facultés mentales, mais de toute évidence, il faisait une rechute. Il parlait aux champignons. Bon, Légorille aussi le faisait, mais ce n'était pas à proprement parler un comportement inhabituel, pour un Elfe. Alors que pour un prêtre...

    Enfin, leurs souffrances trouvèrent une échapatoire. Un cheval s'approcha d'eux, alors qu'ils levaient le camp, après avoir petit-déjeuné. C'était un cheval d'un beau bai cerise, dont la robe aux reflets rougeâtres brillaient au soleil, qui filtrait à travers les épais feuillages. Il avait les crins d'un noir luisant, et trois balezanes aux pied. Une longue trace blanche coulait de son front à son nez, si bien qu'on aurait dit qu'il buvait du lait.

    Le cheval, une belle bête, ma foi, s'avança vers Utz, qui remballait ses couvertures. Ils échangèrent un long regard, puis le cheval finit par s'exclamer:

    - Beau temps, n'est-il pas ?

    Les compagnons poussèrent des cris effrayés, un cheval parlant, ça ne s'était jamais vu! D'un ton docte, Legorille leur fit remarquer qu'ils venaient de croiser un chat volant, pas plus tard qu'il y a trois jours, et que les Elfes parlaient courrament avec les chevaux. Cela jeta un froid sur l'équipée, mais Utz se força à interroger le cheval, pour ne pas perdre son statut de...de rien du tout. Mais il était plaisant de prendre les initiatives, surtout lorsqu'on mesure un mètre vingt.

    - D'où venez-vous ? (le vouvoiement semblait de mise.)

    Le cheval leur expliqua que l'Empereur avait chargé son cavalier d'aller prêter main forte à l'armée, vers le Nord du pays. Mais son cavalier et lui s'étant malencontreusement comme qui dirait brouillés, le cheval l'avait désarçonné, puis avait pris la fuite au triple galop.

    - Libre, libre! s'exclamait l'animal en leur contant son épopée. 

    Les quatre autres ne tardèrent pas à comprendre que le cavalier désarçonné était Ragnagor. Ils supplièrent le cheval de le conduire à lui, puisqu'il leur avait avoué jeter un oeil à ce que son ex-cavalier devenait. Il avait bâti une maisonnette à quelques lieues à l'Ouest, et buvait du café tous les midis. Les chevaux n'aiment pas l'odeur du café.

    Comme les suppliques ne fonctionnaient pas très bien, ils le menaçèrent de le transformer en steak. Cela marcha beaucoup mieux, et les compagnons suivirent le cheval bouguonnant, jusqu'à la maison.

    Il s'agissait d'une chaumière, humble mais chaleureuse, comportant une cheminée, de laquelle s'échappait de la fumée. Utz frappa à la porte, tandis que le cheval restait en arrière, grognant toujours dans sa barbe, à propos d'une histoire de nom.

    Après ce qu'il leur sembla des heures, quelqu'un vint leur ouvrir. Il s'agissait d'un homme de grande taille, portant une barbe de trois jours et des cheveux noirs mi-longs et raides. Il avait les yeux d'un bleu-gris fantastique, mais un reflet un peu idiot les habitait. 

    - Bonjouuur", fit l'hôte en les regardant un à un. Son visage s'éclaira lorsqu'il apperçu son cheval, quelques pas plus loin. "Crins d'Or! Te voila enfin!"

    Après avoir été invités à entrer, les quatre amis comprirent la nature du différend qui avait opposé le cheval et son cavalier. Il s'agissait d'une histoire de nom. Probablement parce-que lui même avait un nom de chiotte, Ragnagor avait décidé d'appeler son destrier Crin d'Or, ce qui ne plaisait pas beaucoup à celui-ci.

    "- Franchement! déclara le cheval. A-t-on déjà vu un nom aussi stupide ? Je ne vous parle même pas de la cohérence! Je sui un cheval bai, j'ai les crins noirs!

    Légorille se sentait un peu gêné. Les Elfes n'avaient pas pour habitude de donner des noms intelligents à leurs chevaux. Sa jument s'appellait Petite Princesse Coquine, et il se demandait à présent si elle appréciait vraiment ce nom.

    Gandoulf s'engagea dans un plaidoyer très émouvant. 

    - L'Empire a besoin de vous, conclut-il sa tirade. Des enfants, des femmes, des soldats attendent votre retour, vous ne pouvez quand même pas les décevoir, si ?

    Ragnagor se gratta la barbe, l'air pensif.

    - Vous m'émouvez beaucoup, mon père. (Utz songea que c'était un peu exagéré. Gandoulf était peut-être un prêtre, mais il n'en avait pas l'air, et lui-même avait l'air surpris qu'on lui donne du 'mon père'.) Malheureusement, je ne peux point vous accompagner... j'ai des choses plus urgentes à faire ici. Et une lourde peine hante mon coeur, m'empêchant de brandir l'épée...

    - Quelles choses ? demanda Utz abruptement. Il commençait à en avoir ras-le-bol de discuter. Il venait de se souvenir qu'il n'avait toujours pas eu son pot de Nutella.

    - Ma foi, la femme que j'aime, malheureusement mariée à un Elfe, m'a quitté. Elle m'a promis de divorcer et de revenir, mais je ne l'ai jamais revue.

    Légorille se dressa d'un bond, et Zhara eut juste le temps de le retenir par la manche.

    - MAIS C'EST MA FEMME! cria-t-il.

    Le chevalier le jaugea du regard, et finit par lâcher, adoptant sans s'en appercevoir un ton dédaigneux:

    - Allons, l'ami. La femme dont je vous parle en cet instant même est trop belle pour un homme tel que vous. 

    - Comment s'appellait-elle ? demanda Utz, pressé de régler la situation.

    Une fois que le chevalier eut dit le nom de son ex-maîtresse, Légorille oublia toute règle de politesse. Son unique but étant à présent de se ruer sur Ragnagor et de lacérer son corps de ses ongles, Zhara avait de plus en plus de mal à le retenir. 

    - Mais enfin, s'écria le chevalier, purement stupéfait. Je ne vois vraiment pas ce qu'elle a pu vous trouver!

    - JE VAIS LE TUER!

    - Hum, fit Utz, vous feriez peut-être mieux de poursuivre cette discution à un autre moment. Loin de nous, par exemple.

    Malheureusement pour lui, Légorille ne semblait pas être de cet avis. Il parvint à s'arracher à l'emprise de Zhara, et bondit sur le chevalier. Celui-ci avait tiré son épée juste à temps, mais et il put contrer l'assaut furieux -et quelque peu dépourvu de logique- de l'Elfe. 

    L'intéressé avait, contre toute attente, retrouvé son caractère profond. Le psychopathe était de retour, au grand damme de Utz et Gandoulf. 

    - TA MERE LECHE DES BOTTES EN ENFER, RACLURE!

    - Bien sûr, bien sûr, fit le prêtre distraitement. Mais, Preux Chevalier, pour ce qui est de votre retour sur le front Nord de l'armée...

    - Tout ce que vous voudrez! Mais par pitié, ôtez-le de ma royale personne! hurla Ragnagor en tentant tant bien que mal de se défaire de Légorille.

    Utz et Gandoulf échangèrent un regard.

    - Royale personne ?

     

    Calmer l'Elfe fut difficile. Extrèmement difficile conviendrait mieux, et encore, ce n'est qu'un euphémisme. Il fallut déployer des génies d'inventivité, et ce fut finalement Zhara qui parvint à le faire retrouver la raison. Elle s'était coulée sur ses genoux et avait caressé ses oreilles pointues de ses mains douces. L'effet avait été immédiat, mais Légorille ne pouvait s'empêcher de lancer des regards haineux au chevalier chaque fois que leurs yeux se croisaient.

    Celui-ci, souffrant que ses invités n'aient de cesse de le questionner, et ce sans relâche, finit par abandonner la partie. 

    Il leur raconta tout.

    Peu après son départ pour le front Nord de l'armée, où il avait véritablement l'intention de se rendre, il avait reçu un second ordre Impérial. Il était impossible de refuser d'accéder à cette requête, tout aussi pressant soit le besoin de l'armée de recevoir des renforts. Le chevalier avait donc changé de destination.

    - Vous avez laissé tomber vos potes, quoi, lui fit remarquer Zhara, sur un ton de reproche. C'est pas très honnête, tout ça, Monsieur le Chevalier sans Peur ni Reproche.

    Utz lui fit remarquer que dérober des bourses sur des cadavres n'était pas très honnête non plus, et elle la ferma.

    - Quel était cet ordre ? Comment se fait-il que l'Empire n'en ait pas été informé, s'il s'agissait d'un ordre Impérial ? demanda Gandoulf.

    Le chevalier haussa les épaules, l'air désolé:

    - Hélas, je ne puis vous révéler la nature de cet ordre. 

    Légorille banda son arc et visa la poitrine du chevalier avec ostentation.

    - Enfin, puisque vous insistez...s'empressa de corriger l'homme d'armes. Ce que vous devez savoir avant toute chose, c'est que je suis un esprit simple...

    - Oh, nous avions remarqué, fit Légorille d'un ton doucereux, mais non moins froid et implacable.

    - ...lorsque l'on me donne un ordre, j'obéis. L'ordre que j'ai reçu était en réalité un contre-ordre, qui annulait l'ordre précédemment reçu. Donc j'ai obéis à l'ordre -le deuxième, pas le premier ordre, puisque celui-ci ne comptait plus. Vous me suivez ? 

    - Non, fit Gandoulf, mais continuez, j'adore les histoires de chevaliers et de dragons.

    - Bien. L'ordre -le deuxième, pas le premier, celui-là ne...

    - Comptait plus, oui, on sait, l'interrompit Utz. Quel était l'objet du contre-ordre, donc ?

    - J'allais y venir (l'Elfe et Zhara ricannèrent à l'unisson). L'Empire m'ordonnait de changer de trajectoire. Mon but n'était plus le front Nord de l'armée, mais la Forêt Originelle, où une menace sévirait, effrayant ses habitants.

    Il y eut un moment de flottement, et Utz finit par le briser:

    - Mais...il me semblait que très peu de personnes vivaient dans cette Forêt. 

    - C'est exact, approuva le chevalier.

    - Alors pourquoi a-t-on jugé cette menace plus...menaçante que celle qui...menaçait le front Nord de l'armée ?

    Une fois que le chevalier eut fait le tri dans toutes ces idées de menaces menaçantes qui menaçaient son pauvre cerveau menaçé, il répondit:

    - J'y ai réfléchis. Il me semble que cette menace dure depuis un sacré bout de temps déjà. La dizaine d'habitants vivant ici a dû envoyer des centaines de lettres, depuis le temps, et je soupçonne un inspecteur d'être passé par là, et d'être tombé sur cette pile de lettre. Comme ça fait mauvais genre, il a probablement ordonné à l'Etat de s'en occuper, pour ne pas avoir trop la honte.

    - Mouais, finit par lâcher Utz, peu convaincu. Peu importe. Quelle est exactement cette menace ?

    - Un démon nommé Chocolachoxe. Nul ne sait exactement à quoi il ressemble, mais les rares personnes à avoir entrevu son ombre au détour d'un sentier disent qu'il est accompagné de sbires. Cet ensemble de petites cancrelats misérables s'appelle les Karabistouilles. 

    Il était difficile d'immaginer un démon et des sbires effrayants quand ils portaient des noms de jouets. Ainsi, après un énième silence dubitatif, ce fut Zhara qui reprit la parole en se raclant la gorge:

    - Hum. Il y a eu des morts ?

    - Tu prévoies de récupérer leurs bourses ? railla Utz.

    - Oh toi, ta gueule. 

    Le chevalier, qui avait observé l'échange bouche bée, sembla reprendre ses esprits et se secoua la tête, comme un chien sortant de l'eau.

    - Pas que je sâche. Ce satané démon file surtout une peur bleue aux habitants de la Forêt. On m'a aussi parlé de cultures ravagées, ce genre de petites choses sans importance.

    - Pour quelqu'un sans argent ou salaire fixe, un potager est parfois la seule source de nouriture, déclara Légorille d'un ton glacial.

    - Heu...oui, en effet, admit le chevalier, vaguement gêné. Puis, il parut passer à autre chose et demanda: Malheureusement, malgré mon tact légendaire et mon savoir faire, je n'ai pu soutirer que de maigres informations aux habitants de cette forêt à présent maléfique, concernant le démon.

    - D'un côté, sussura Zhara, si ce démon est aussi maléfique que vous le dites, ces gens ont surement fait preuve de bon-sens en ne s'approchant pas de lui. 

    Ragnagor cligna des yeux quelques secondes, finit par poursuivre:

    - Je suis néanmoins parvenu à situer le démon. Il semblerait que notre ennemi ait élu dommicile au centre de la partie Obscure de la Forêt Originelle. Ses sbires patrouillent dans toute la forêt, eux, et sèment la discorde sur leur passage. 

    - 'Notre' ennemi ? tiqua Utz.

    - Et bien oui! s'esclaffa le chevalier, mais toujours un peu angoissé. Vous n'allez pas me laisser tomber, pas vrai ? 

    - Personnellement, j'en serais assez tentée.

    - Si.

    - Bah c't'à dire que...

    Seul Légorille accepta, à la surprise générale. Il finit par exepliquer:

    - Je veux voir sa tête  voler dans les airs quand le démon la lui arrachera d'un coup de dents dédaigneux.

    - Heu...et puis, c'est vous qui tenez l'arc, approuva Ragnagor au bout d'un certain moment. Vous ne pouvez pas me laisser une chance de m'enfuir, vous devez m'accompagner.

    - Tu sais quoi mon coco, je n'aurai pas besoin d'arc pour te réduire au silence à jamais, diagnostiqua Zhara calmement.

    - Moi, je pense surtout que c'est un lâche mort de trouille", fit Utz, un peu acerbe malgré-lui.

    Les adolescents ont besoin de se découvrir une îdole, et il avait espéré, inconsciemment peut-être, que ce Chevalier Ragnagor pourrait remplir ce rôle. Apparemment, il s'était trompé.

    Pour être honnête, ils s'étaient tous trompés.

     

    Ils partirent très tôt le lendemain matin, accompagnés de Crin d'Or. Le cheval avait néanmoins refusé de porter Ragnagor sur son dos, tant que celui-ci n'aurait pas accepté de le nommer autrement. 

    Le chevalier marchait donc de front en compagnie de Utz et Zhara, tandis que Gandoulf tenait Légorille à l'oeil, quelques mètres en arrière. s'il s'était calmé durant la nuit, l'Elfe n'en restait pas moins dangereux, comme le laissaient présager les oeillades haineuses qu'il lançait parfois au chevalier.

    Ils se rendaient vers la partie Obscure de la Forêt Originelle, et Utz essayait de ne pas trop songer à ce qui les attendait là-bas. S'il ne manquait pas de courage, il avait assez de jugeote pour deviner l'issue d'un combat potentiel. Un lilliputien, une garce, un chevalier peureux, un Elfe psychopathe, un cheval parlant et un prêtre drogué avaient très peu de chance de l'emporter sur une créature aussi redoutable qu'un démon. 

    A travers le rideau des arbres, qui se faisait de plus en plus épais, on pouvait voir une aurore boréale qui éclairait le ciel encore gris. Les couleurs de l'aurore faisaient étinceler les goutes de rosée qui tombaient des branchages, et Utz ne put s'empêcher de soupirer d'aise.

    Ils allaient peut-être vers une mort certaine, mais au moins il aurait pu voir de supers paysages. Néanmoins, une question lui trottait dans la tête:

    "- Dites-moi, Ragnagor, commença-t-il. Hier, vous avez parlé de vous en vous désignant comme étant une 'royale personne'...

    Zhara, qui écoutait, hocha la tête avec vigueur pour marquer son assentiment. Si ce type était roi, et s'il mourrait en combattant ce démon, il y aura probablement une bourse bien remplie à récupérer sur son cadavre. 

    - En vérité, approuva le chevalier. Ma mère est une proche parente de l'Empératrice, elle est sa cousine. J'ai donc du sang royal, mais pas suffisament pour pouvoir prétendre au trône, ajouta-t-il dans un bon sourire.

    - Voila qui est rassurant, ne pu s'empêcher de soupirer Utz. Il imaginait que trop bien les dégats que pouvait provoquer un abruti tel que Ragnagor, si jamais il accédait au trône. 

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  • Ceci est la fin... oui, c'est triste, hein ? 

     

    Ils arrivèrent en fin d'après-midi dans un village désert.

    Les maisons étaient toutes vides, inhabitées, et un vent de panique soufflait dans les rues. 

    La terre était applatie, comme si de nombreuses personnes l'avaient foulée à la hâte, fuyant quelque-chose. Légorille s'accroupit pour observer les empreintes, carressa le sol de ses doigts habiles, et décréta:

    - On dirait que ces villageois ont eut drôlement peur. Je n'ai jamais vu une marmotte faire de si longues enjambées.

    - Des marmottes ? répéra Gandoulf bêtement.

    Légorille lui indiqua le panneau planté à l'entrée du village. 

    - Marmotte-city, grommela le prêtre dans sa barbe. Bien sûr. Je le savais.

    - Vous voulez dire que des marmottes ont bâti ce village, et vivent comme des humains, avec le même type de société et de hiérarchie ? demanda Zhara, à peine étonnée sous son casque de boucles rousses.

    - C'est cela même, approuva Légorille en hochant la tête. Et elles parlent. On dit qu'un Dieu fort clément leur a fait don d'intelligence, pour éviter que les humains soient les seuls à contrôler le monde. Malheureusement pour lui, son plan à complètement foiré. Les marmottes ne sont pas très courageuse. Elles fuient au moindre cri.

    - J'imagine que le démon n'a pas dû faire beaucoup de méchancetés pour qu'elles paniquent et prennent la fuite, alors, ricana Utz méchamment. 

    Au même moment, ils entendirent un craquement quelques mètres sur les gauche, provenant d'un fourré.

    Légorille banda aussitôt son arc, tandis que Zhara tirait deux de ses dagues.

    - Qui est là ? demanda Ragnagor. 

    Le craquement de feuilles mortes se produisit de nouveau, et une petite silhouette ronde apparut dessous le buisson.

    - Ne me faites pas de mal, fit un voix aigûe en couinant.

    - Avance.

    La petite chose potelée obtempéra, et ils purent enfin voir de qui il s'agissait quand elle s'avanca dans un cercle de lumière.

    C'était une petite marmotte, pas plus haute que les genoux d'un homme, se tenant sur ses pates arrière. Elle était recouverte d'un soyeux pelage brun aux reflets roux, et ses yeux trop grands pour sa petite figure fixaient le groupe avec un air terrorisé. 

    Zhara renguaina aussitôt ses armes, et s'accroupit devant la créature.

    - Attention! cria quand même Ragnagor. Elle pourrait être armée.

    Mais la jeune-femme ne l'écoutait même pas, et tendit une main avenante vers la marmotte.

    - Qui es-tu ? demanda la jeune femme rousse.

    - On m'appelle Hamchi, couina la petite marmotte. 

    - A tes souhaits, ricana Utz.

    Zhara lui lança un regard noir, et reprit:

    - N'écoute pas les gros méchants monsieurs, ils sont bêtes. Moi, je m'appelle Zhara. Pourquoi es-tu toute seule, Hamchi ? Où sont les autres de ton peuple ?

    Les moustaches de la marmotte frissonnèrent, et elle recula d'un pas avant d'expliquer en couinant:

    - Ils ont fuit le monstre. Le monstre est venu, le peuple de Hamchi a eut peur, ils sont tous partis, ils ont oublié Hamchi!

    De gros sanglots secouaient à présent sa frêle poitrine, et Zhara ne put s'empêcher de la prendre dans ses bras maternels pour la consoler:

    - Je suis sûre qu'ils n'ont pas fait exprès. 

    - Il y a des chances que ce n'ait pas été volontaire, approuva Légorille. Les marmottes sont très émotives, et leur instinct de survie a tendance à prendre le dessus sur leur cerveau.

    - Ah bon, elles ont un cerveau ?

    - Utz, tais-toi!  lâcha Zhara. On va retrouver ta famille et ton peuple, Hamchi. On est là maintenant, et on va tous vous sauver. 

    - Oui, enfin...fit Gandoulf, l'air pas très rassuré. On va essayer, déjà. 

     

    Hamchi, à présent juchée sur les épaules de Zhara, leur expliqua que le démon avait tendu un piège aux habitants de son village. En fuyant, les marmottes s'étaient ruées dans le traquenard, où les attendaient les sbires du Chocolachoxe. Ceux-ci les avaient emmenées dans le repère du démon.

    Zhara ne cessait de promettre des tas de choses à la petite marmotte, et Gandoulf la trouvait de plus en plus gonflée. Quand la jeune femme promit qu'elle demanderait au prêtre rasta de lui trouver un mari pour plus tard, celui-ci haussa le ton:

    - Mais non! Je suis un prêtre, moi, je refuse de jouer le conseiller conjugal!

    - Oh, ça va! cria à son tour Zhara, et encore plus fort. Tu maries bien les gens, tu peux aussi les aider à tomber amoureux, zut! C'est pas si différent!

    Appeurée par ces cris, Hamchi recommença à pleurer et enfouit son visage dans le décolleté de la jeune-femme.

    - Ah, tu vois! Fit celle-ci en regardant Gandoulf d'un air sévère. Tu lui fais peur, à force de hurler comme un goret! Tais-toi un peu!

    - Mais, mais c'est toi qui...

    - Chut!

    Gandoulf lança un regard désespéré à Utz, mais celui-ci se contenta de hausser une épaule. Il avait toujours trouvé que les filles avaient le don inné de s'attacher aux trucs petits et chiants.

     

    Après encore une heure de marche, il établirent un campement provisoire. Utz espérait secrètement qu'ils ne seraient pas attaqués par des monstres durant la nuit. Et puis, ils ne pouvaient pas vraiment compter sur Ragnagor pour les protéger, il l'avait vu sortir un doudou et le cacher à la va-vite sous sa couverture. Ca voulait tout dire.

    Et il doutait fortement que l'arc de l'Elfe et les dagues acérées de Zhara puissent leur être d'une quelconque aide, s'ils devaient combattra une dizaine d'ennemis. Il se demandait si Crin d'Or serait d'accord pour balancer quelques ruades pour assomer leurs ennemis potentiels, quand un éclair zébra le ciel. Une pluie drue tomba peu après, et se changea peu à peu en une neige humide et épaisse. 

    - Mais je le crois pas! s'écria Utz, stupéfait. Il faisait super beau, tout à l'heure!

    - Mon jeune ami, depuis le temps que je vis ici, j'ai pu voir à peu près toutes les météos, même celles qui n'existent pas. Les Dieux s'amusent, au-dessus de la Forêt Originelle, c'est un peu comme leur salle de jeu attitrée. Ils changent le temps à volonté.

    - Génial, grommela le lilliputien en montant sa couverture jusque sur son menton. 

     

    Le lendemain matin, il fut réveillé quand un tas de neige lui tomba sur la figure. Il bondit sur ses pieds, secoua la tête comme un chien mouillé et, l'air hagard, regarda autour de lui en quête du responsable. Il finit par aviser une branche qui bougeait encore, pile au-dessus d'où se trouvait sa tête. Il prononça quelques jurons en brandissant le poing, et faillit écraser Hamchi en voulant ranimer le feu.

    - Bien dormi ? demanda Gandoulf en baillant.

    - Nan. Cette foutue marmotte a passé la nuit à pleurnicher parce-que Zhara ronflait trop, et elle a finit par s'allonger sur mon torse.

    - Et elle a dormi ?

    - Oui, mais les moustaches de marmotte, ça chatouille. Impossible de me rendormir.

    Ignorant le fou-rire de son ami, Utz fit fondre de la neige, et avisa Hamchi, qui le fixait de ses grands yeux candides.

    - Tu veux ma photo ?

    - Petit homme ne ronfle pas, lui, pas comme la fille rousse. Alors je t'aime bien.

    - Ca me fait une belle jambe, ricana le petit homme concerné.

    Aussitôt, un grand bruit d'éclaboussures éclata, et Utz fut trempé de la tête au pied.

    - Mais mince alors, mais qu'est-ce-que tu fous ?!

    Hamchi était tranquillement allongée dans la casserolle d'eau tiède, et se débarbouillait les moustaches avec délice.

    -  C'est l'heure de la toilette!

    - Mais non mais merde mais c'est pas l'eau pour la toilette, c'était l'eau pour le café! 

    Hamchi se figea, sembla réfléchir une seconde, puis décréta:

    - Le café c'est pas bon, caca pue. La toilette c'est plus mieux, la toilette ça sent bon et ça rend propre.

    - En tout cas, se récria Utz en fixant ses amis qui se payaient sa tête, si quelqu'un doit se sacrifier pour buter ce foutu démon, ce sera elle! C'est compris ?

    Pour toute réponse, il ne reçut qu'un hennissement de Crin d'Or. Ce hennissement ressemblait beaucoup trop à un rire.

     

    Trempé et de mauvaise humeur, grelottant sous son manteau de laine, Utz marchait aux côtés de Gandoulf. Celui-ci lui tendit une couverture, mais le lilliputien refusa. Il allait s'empêtrer les pieds dedans, tomber tête la première dans la neige, et se ridiculiser encore plus. Quelle journée pourrie.

    - Dis-moi jeune ami, annonca Ragnagor en s'approchant de lui. J'ai pensé à quelque-chose. 

    - Merveilleux, il sait penser! soupira Utz avec sarcasme. Dites toujours.

    - Je me disais que nous pourrions établir un plan d'attaque pour contrer ce démon. Histoire d'être prêt quand le moment sera venu.

    - Oh, mais c'est tout vu, Monsieur le Bretteur d'Exception, c'est tout vu. Vous lui donnerez de grands coups de votre coupe-choux sur le corps, et nous, nous vous regarderons de loin en applaudissant lors des passes subtiles.

    - Mais... je ne vais jamais y arriver tout seul! se récria Ragnagor bouche-bée, ce qui laissait voir sa dent en or.

    - Ca mon pote, il fallait y réfléchir avant, ricana Utz.

    - Par pitié, mon ami, je vous en conjure! supplia le chevalier en se laissant tomber à genoux devant l'adolescent. Donnez moi le plaisir de contempler votre aide si précieuse, à vous et vos amis, ou je périrai.

    Utz songea que ce ne serait pas une si grosse perte que ça, mais il intercepta le regard courroucé de Légorille. Ah, oui. C'est vrai qu'il voullait le voir décapité, celui-là. 

    Le lilliputien soupira, posa une main hautaine sur l'épaule du chevalier, et finit par acquiescer:

    - Fort bien. Nous vous aiderons. Mais n'oubliez pas que si le combat recquiert un sacrifice, c'est la marmotte ou l'Elfe. Ou vous. Pas moi, pigé ?

    - Pigé, approuva le chevalier avec un clin d'oeil.

     

    Ils arrivèrent là où nichait le démon Chocolachoxe quand le soleil allait se coucher. Ses rayons rendaient la scène iréelle, et pourtant.

    Ils était cachés dans un buisson, et contemplaient une clairière de grandes dimensions, occupée en partie par un large corail, contenant le peuple des marmottes. 

    Des Karabistouilles montaient la garde et jetaient des immondices sur les pauvres prisonnières, sous le joug de leur chef. 

    Le démon Chocolachoxe était juché sur un énorme trône, occupant une large partie de la clairière. Son siège était fait d'ossements, et le soleil couchant le teintait de rouge, comme si la chose assise sur ce siege sépulcral ne rendait pas la scène suffisamment effrayante.

    Le démon Chocolachoxe était un énorme lapin en chocolat.

    Utz eut un haut-le-coeur en contemplant cette créature des enfers, dont les yeux de rubis rouges brillaient d'une lueur sanglante et malsaine. Jamais personne n'avait contemplé de démon plus horrible. 

    Zhara avait de plus en plus de mal à contenir les sanglots appeurés de Hamchi, et elle jeta un regard suppliant à Utz et Gandoulf pour qu'ils lui viennent en aide. Utz, terrorisé par le démon et stressé par les cris de la marmotte, finit par saisir celle-ci et la balança dans la clairière en hurlant: "GRENAAAAAADE!"

    S'ensuivit un silence stupéfait. Zhara, Gandoulf et Ragnagor ouvraient de grands yeux tandis que Légorille menaçait Utz de son poing. Le lilliputien, quand à lui, se demandait bien pourquoi il avait fait une chose aussi stupide.

    - Heum...le stress, sans doute, fit-il en souriant d'un air gêné devant l'air inquiétant de l'Elfe. 

    Mais il fut interrompu par un cri déchirant. Un cri d'animal qui se fait pipi dessus.

    - HAMCHI! hurla Zhara à son tour en bondissant de sa cachette.

    Ses amis n'eurent pas le temps de la rattraper, elle se précipita au centre de la clairière et enserra la marmotte de ses bras.

    - ATTRAPEZ-LES! gronda le Chocolachoxe. 

    Aussitôt, ses sbires -de vulgaires ombres noires en forme de poules, de lapins, de poissons ou d'oeufs munis de pieds- se précipitèrent sur la jeune-femme.

    Le reste du groupe ne put que contempler la scène avec horreur. Leur terreur monta encore d'un cran lorsque le démon demanda à ce que l'on fouille de buisson d'où était sortie Zhara.

    - Je vous avais bien dit qu'il fallait établir un plan! pleurnicha Ragnagor.

    - Vous, ta gueule! Légorille, ajouta Utz, tu penses que tu peux en abattre combien avec ton arc ?

    - Mais merde, mec, mais t'as pas vus, ce sont des ombres, chiotte! trépigna Gandoulf à son tour. Comment tu veux buter des ombres ? Fait chier!

    - On va tous mouriiiiiiiiiir! hennit Crin d'Or.

    - Mais non!

    - Mais si!

     

    ***

     

    Pendant ce temps, Zhara avait été emmenée de force au pied du trône sur lequel se tenait le Chocolachoxe tant redouté. La jeune femme serrait toujours contre-elle la marmotte qui tremblait de tout son corps.

    - Tiens donc, ricana le lapin, avachi sur son siège, une jambe -enfin, patte- passée par-dessus l'accoudoir. Je t'avoue que je ne m'attendais pas à ce que le justicier de la Forêt soit une femelle.

    - Tu as tort de penser que seuls hommes sont capables d'infliger la souffrance. Tu es peut-être en chocolat, je suis sûre que certaines de tes parties de ton anatomie sont aussi sensibles que celles d'un lapin normal.

    Un Karabistouille voulut la faire taire, mais le démon dit:

    - Non...elle m'intéresse. Il se pourrait que je vienne à te faire une proposition de mariage, si tu te montres gentille.

    Pour toute réponse, Zhara cracha au pied du démon. Le visage de rongeur de celui-ci se ferma aussitôt, et ses yeux rougoyèrent d'un éclat encore plus...démoniaque.

    - Qui t'envoie ?

    - Personne ne me dicte ma conduite.

    - NE JOUE PAS A CA AVEC MOI, FEMELLE! QUI T'ENVOIE ME CONTRER ? REPONDS!

    Elle haussa une épaule, l'air peu concernée.

    Alors que les Karabistouilles commençaient à s'approcher d'elle, menaçants, elle songea intérieurement que tous les hommes étaient pareils. Dès qu'on avait besoin d'eux, il n'y avait plus personne.

     

    ***

    Au même moment, toujours cachés dans le buisson, les hommes dont parlait Zhara hésitaient entre: a) Bondir dans la clairière pour lui sauver la vie, b) Prendre la fuite et commencer une nouvelle vie. Inutile de préciser qui préférait la seconde solution.

    - Mais on ne peut pas la laisser toute seule contre ces monstres! s'indignait Utz.

    - Ouais, et j'ai toujours pas vu ta tête voler! renchérissait Légorille.

    - Dangereux...trop dangereux! suppliait Gandoulf. Utz, allons-nous en!

    - Mais non! Je refuse de l'abandonner!

    - Mais on va se faire BECQUETER! trépignait Ragnagor en se rongeant les ongles. 

    - Mais non!

    - SI! Ces choses sont mille fois plus dangereuses que toutes les créatures que j'ai pu combattre dans ma vie!

    - Allons, ne soyez pas si défaitistes! Je suis sûr que le Cerbère que vous avez battu était bien plus menaçant que ce lapin au cacao.

    Ragnagor tiqua:

    - Je n'ai jamais battu de cerbère.

    - Et le Minautore ?

    - Non, bien sûr que non, grand Dieu!

    - L'Hydre ?

    Ragnagor secoua la tête, effaré.

    - Le Sphinx, alors ?

    Nouveau secouage de pellicules.

    - Un chien ?

    - Une souris ?

    - Un moustique ? finit par demander Gandoulf.

    - Hum, j'ai essayé d'en écraser un, une fois, mais je l'ai manqué. Mais de peu.

    Agacé, Légorille finit par l'attraper par le col et le jeta dans la clairière, comme Utz l'avait fait pour Hamchi. Le chevalier s'affala par terre avec un bruit mou, et mis un moment à se rendre compte  où il se trouvait. Puis, un grand cri d'effroi sortit de ses lèvres.

    - Non mais, quel tarlouze! grogna Légorille entre ses dents, avant de bondir du buisson, bientôt suivi par Utz et Gandoulf. Crin d'Or avait pris la fuite depuis bien longtemps, prétextant vouloir à tout prix goùter une de ces fameux ananas poussant un peu plus loin. Personne n'avait tiqué au fait qu'il y ait des ananas dans une forêt de connifères.

    ***

    Les Karabistouilles étaient à peine à un mètre de Zhara quand Ragnagor bondit avec fougue du buisson, et atterrit au centre de la clairière, dans une grande envolée de cape. La jeune femme eut juste le temps de se retourner pour le voir se relever et pousser un grand cri de guerrier, probablement pour se donner du courage, pensa-t-elle. L'Elfe, le prêtre et le lilliputien sortirent à son tour, et se lancèrent à l'assaut des sbires qui les menaçaient de leurs lances. 

    Profitant de ce moment d'innatiention, Zhara tira une de ses dagues et la planta dans le ventre d'un des soldats. L'arme passa à travers l'ombre, et la jeune-femme poussa un cri de rage. Elle esquiva deux-trois coups de lances maladroits, repoussa une botte mieux placée, et bondit littéralement par-dessus un rang de démon, avant de piquer un sprint et de s'enfuir dans les bois, Hamchi toujours blottie contre sa poitrine.

    ***

    Les membres de la gente masculine du groupe étaient totalement dépassés. Les sbires du démon qui les attaquaient n'étaient pas palpables, et leurs coups maladroits les traversaient comme s'ils avaient tenté de blesser de la fumée. De plus, il en arrivait de partout: des arbres, du sol, du ciel. Et pour arranger tout ça, comme si ça ne suffisait pas, l'épais manteau de neige les empêchaient de se mouvoir correctement, en plus de leur demander plus d'efforts.

    Utz, qui n'était pas à proprement parler un combattant, se contentait d'esquiver, roulant dans la neige s'il le fallait, profitant de sa petite taille pour se faufiler entre ses ennemis. 

    Légorille était resté un peu en retrait et tirait flèche sur flèche, mais toutes passaient à travers ses cibles.

    Gandoulf assénait de grands coups de son bâton sur les têtes qui passaient à proximité, sans plus de résultats. 

    Ragnagor, quant à lui...était...était enfoncé jusqu'à mi-corps dans la neige. Il était tombé dans une congère en voulant fuir. 

    Utz eut alors une idée. Il chercha autour de lui une aide potentielle, remarqua Zhara qui prenait la poudre d'escampette dans les bois, et poussa un juron. 

    S'ils s'y mettaient tous, ils avaient une chance de d'acculer les Karabistouilles dans un coin spécifique de la clairrière, où les congères étaient plus nombreuses. Leurs ennemis pourraient s'enfoncer dans les trous, et peiner à en ressortir. Cela leur permettrait de gagner du temps pour liquider ce démon.

    Utz espérait simplement que la disparition du démon impliquait aussi la disparition de ses sbires.

    - LE DEMON! hurla-t-il à ses amis. IL FAUT SE CONCENTRER SUR LE DEMON! ACCULEZ LES OMBRES DANS LES CONGERES!

    Malheureusement pour lui -c'était tout de même un très bon plan, pour un adolescent n'ayant jamais pris de leçons de stratégie guerrière- le Chocolachoxe poussa au même moment un cri. Un cri terrible, qui leur fit se dresser leurs cheveux sur la nuque.

    Un genre de cyclone apparut au centre de la clairière, et le démon hurla à nouveau:

    - VOUS AVEZ OSE TROUBLER MA QUIETUDE ? VOILA VOTRE RECOMPENSE! GOUTEZ A LA PEUR SANS NOM, RENCONTREZ LE CYCLONE DE HERLMINGARDUR! MOURREZ, MISERABLES MORTELS, MOURREZ DE TERREUR!

    Le cyclone de Herlmingardur semblait grandir, grandir... plusieurs sbires restés en retrait furent emportés par ce tourbillon. Pire que tout, c'étaient les hurlements de haine sortant du cyclone qui était effrayant. Utz sentit un frisson sinuer le long de son dos. A coup sûr, s'il tombait dedans, il ne se retrouverait pas au paradis les lilliputiens.

    A cet instant précis,  une langue de feu parut dans le ciel. Plusieurs sbires furent brulés par ce souffle des enfers, et leur ombre parut s'étaller, tandis que les contours de leur corps redevenaient visibles. Une des flèches de Légorille resta fichée dans le coeur d'une poule en chocolat, et elle s'affala au sol, morte. 

    - LE FEU LES REND MORTELS! hurla à nouveau Utz, qui commençait à avoir la voix enrouée à force de gueuler. 

    La situation fut alors renversée. Le feu, brûlant dangereusement leurs ennemis, les rendaient réels, ce qui leur permettait de leur asséner le coup de grâce. Utz s'était depuis longtemps saisi de l'épée qui pendait au fourreau de Ragnagor, inutile. Le chevalier était recroquevillé au sol et priait en appelant sa mère.

    L'épée produisait des dommages irréparables et, bien qu'il avait du mal à la soulever, Utz comprit rapidement le principe. Lever, balancer en avant, et quand ça faisait "Splourch" en éclaboussant du sang, c'était bon, et on recommençait. 

    Ils ignoraient d'où provenait cette langue de feu, surgie de nulle part. Le cyclone se rapprochait à une allure importante, et Utz désespérait de jamais parvenir à ouvrir une brèche dans le flot toujours incessant de leurs ennemis. 

    C'est alors que surgit Zhara, tombant apparamment du ciel, et tenant un genre de briquet en acier d'où s'échappait cette langue de feu. La jeune-femme tourna autour d'elle, crâmant les sbires en chocolat, tandis que Hamchi, perchée sur ses épaules, leur tranchait la gorge avec une dague, en fermant les yeux et s'excusant auprès de ses victimes à chaque fois qu'elle les tuait.

    Une brèche apparut enfin, et Utz s'y engouffra, trainant la lourde épée derrière-lui.

    En face de lui, une grimace haineuse plaquée sur son affreux faciès, se tenait le Chocolachoxe.

    ***

    Bien. Nous voici parvenus au point culminant de notre histoire.

    Dites-moi, vous souvenez-vous de ce que je vous avait dit, au tout début de cette épopée ?

    J'avais prévenu que la neige serait un point important, dans la suite de mon récit. Et bien nous y voici.

    ***

    En face de lui, une grimace haineuse plaquée sur son affreux faciès, se tenait le Chocolachoxe. Le démon avança d'un pas, et tendit un bras. Le cyclone bifurqua dans leur direction. Utz sentait sa dernière heure arriver, mais il se força à rester debout, et fier. Il mourrait en héros, pas comme cet idiot de Ragnagor. 

    - Tu as été trop présomptueux, misérable mortel, grinça le Chocolachoxe de sa voix crissante et caverneuse. Si tu as découvert le moyen d'abatre mes pions, tout n'est pas terminé. Les Enfers vont reprendre leurs droits sur la planète. Personne ne peut rien contre moi. 

    Alors que le cyclone était à présent à deux pas des adversaires, un paquet de neige se détacha d'une branche au-dessus d'eux. Utz vit, stupéfait, la neige tomber pile sur la tête du démon. Celui-ci tituba, aveuglé et secoué par le choc, allant droit dans le cyclone. Il poussa un hurlement tandis qu'il était happé par son propre sortilège, et tournoya quelques instants avant d'être avalé dans le sol, par le cratère qui venait de s'ouvrir. Son cri de désespoir résonna longuement dans la clairière, puis le cratère se referma, et le tourbillon disparut au moment où Légorille abattait le dernier sbires en chocolat.

    Utz, immobile, contemplait les yeux grands ouverts l'endroit où avait disparu le démon.

    - Alors, c'est tout ? Y en a pas d'autres ? s'écria Gandoulf, l'air hagard. (Puis, il s'apperçut de la disparition du démon, et béguaya:) Mais... il est passé où, l'espèce de gros lapin en chocolat ? (Son regard alla jusqu'à Utz, toujours debout:) Utz...mon pote...tu l'as...c'est toi qui l'a...tu l'as zigouillé, c'est ça ?

    Son visage s'éclaira soudainement, et il courrut jusqu'à son ami, manquant se casser la figure dans la neige:

    - Ah, Utz, mon frère! Je le savais! JE LE SAVAIS! Je savais que tu avais l'âme d'un héros!

    Avisant les regards stupéfaits des autres, Utz se força à sourire, gêné:

    - Ouais, enfin... il était pas si balèze que ça, le rongeur!

    Mais, en son for intérieur, il se demandait si ça ne faisait pas trop con, comme façon de mourir. Surtout pour un démon.

    La bonne humeur fut de mise, à partir de cet instant. Zhara, oubliant sa fierté, sauta sur Légorille et l'embrassa à pleine bouche, tandis qu'ils basculait dans la neige.

    Hamchi courrut délivrer les autres marmottes, pleurant de joie (ou de peur devant cette débauche humaine).

    - Ah, oui! s'exclama Ragnagor en se relevant et en épousetant son pantalon. Une bonne petite bagarre, hein! On les as bien niqués, hein!

    Quatre regards noirs l'empêcherent d'ajouter quoique-ce-soit.

     

    Quittant ce lieu de barbarie, l'équipée rebroussa chemin, escortant le peuple des marmottes jusqu'à leur village. 

    En chemin, Zhara expliqua le mystère du briquet cracheur de feu, qu'elle était retournée chercher dans leurs sacs.

    - Je l'ai piqué sur un cadavre, mais il est un peu cassé, il marche un peu trop bien. Je voulais le jeter, mais finalement, je vais peut-être le garder. Il peut toujours servir.

    Arrivés à Marmotte-City, les habitants de celle-ci voulurent à tout prix organiser un banquet pour les remercier de les avoir sauvé. 

    Tout le monde considérait Utz comme un sauveur inter-galactique, et celui-ci décida de ne pas les contre-dire. C'était plutôt agréable, d'être un héros.

    Le lendemain du banquet, après avoir fait leurs adieux à Hamchi (Zhara pleura beaucoup), ils ramenèrent Crin d'Or et Ragnagor chez-eux. Ils quittèrent ce dernier sans regret, et se hâtèrent de s'éloigner de sa chaumière, au cas où il leur aurrait encore demandé de l'aide.

    Sur le chemin du retour, Légorille et Zhara affermirent leur relation. Ils parlaient déjà mariage et bébés. Difficile à le croire, si bien que Gandoulf et Utz ne purent s'empêcher d'éclater de rire au départ. Mais ils étaient très sérieux. Gandoulf espérait que l'influence de l'Elfe empêcherait la jeune-femme de poursuivre ses habitudes de pillage de cadavres, mais il en doutait. Légorille avait lui-même montré ses capacités d'énervement. Il était même très fort à ce jeu là. Les deux amis se demandaient à quoi ressemblerait le bébé. Un bambin psychopathe pilleur de cadavres, aux cheveux roux et au culot monstrueux, probablement.

    Néanmoins, il aurait semblé que Légorille avait calmé les pulsions de meurtre de Zhara. Celle-ci ne rêvait plus de vengeance, mais de chambres décorées d'ours en peluches et de portiques colorés.

    Une fois arrivés au croisement des chemins, plusieurs semaines après leur départ de Marmotte-City, il leur semblait qu'ils avaient passé toute leur vie ensemble.

    - Comment vas-tu faire, alors, si tu ne ramênes pas Ragnagor, demanda Utz à Gandoulf, plus pour retarder les adieux que par réel intérêt.

    - Je vais dire la vérité. Qu'il est bien trop pleutre pour soulever une épée, mais qu'il a beaucoup de bagout, et que c'est un sacré baratineur. Qui sait, ils vont peut-être le réintégrer dans la société comme vendeur de poisson.

    Légorille et Zhara furent les premiers à partir. L'Elfe voulait montrer sa forêt à sa fiancée, mais d'abord, ils désiraient voir la mer, et se marier sur la plage. Gandoulf versa quelques larmes, trouvant cela très poétique. 

    Une fois le couple parti, Utz et Gandoulf se serrerent dans leurs bras et se promirent de se revoir bientôt. 

    Ils se tournèrent le dos, et Utz, portant son baluchon à son épaule, s'en retourna vers Sept, son village. Il souriait. Il se disait que nulle équipée n'avait été, ne serait-ce qu'une journée, plus originale et folklorique que la leur. Ils avaient voyagé, découvert de nouveaux horizons, rencontré des tas de personnes. Ils avaient même sauvé des vies. Utz était heureux. Il allait s'acheter lui-même un pot de Nutela en rentrant. Tout allait pour le mieux.

     Les Karabistouilles avaient fondu dans le néant et le Chocolachoxe avait été refroidi, le monde des marmottes connaitrait enfin la paix.

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